Maigret vu de Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson

Georges Simenon, Maigret à New York, 1947, couverture

Il y a souvent, dans les romans de Georges Simenon, des allusions à la méthode bien peu orthodoxe de son personnage fétiche, le commissaire Jules Maigret.

Dans Maigret à New York, rédigé en 1946, Simenon ne se contente pas d’allusions; la méthode de Maigret est un des leitmotive du roman.

Désormais à la retraite, l’ex-commissaire s’est laissé embarquer dans une affaire familiale américano-française. Ne maîtrisant pas bien l’anglais, il a du mal à faire son travail, malgré l’aide de collègues états-uniens. Comment procède-t-il ?

Il n’a jamais d’idées (p. 37). Il flâne : «il avait toujours été un flâneur» (p. 67). Il ne sait pas «exactement» ce qu’il cherche (p. 87). Il ne s’intéresse pas particulièrement aux «faits» (p. 122) et aux «idées» précis (p. 143). Il se dit «pas intelligent» (p. 142) et il refuse de se «faire une idée sur une affaire avant qu’elle soit terminée» (p. 142). Il se laisse porter par ce qu’il voit, entend, ressent :

Je nage, lieutenant… Sans doute nageons-nous tous les deux. Seulement, vous, vous luttez contre le flot, vous prétendez aller dans une direction déterminée, alors que moi je me laisse aller avec le courant en me raccrochant par-ci par-là à une branche qui passe (p. 143).

Arrive pourtant un moment où les choses prennent forme dans son esprit : il entre alors «en transe» (p. 145), il se trouve «dans le bain» (p. 145).

Pendant des jours, parfois des semaines, il pataugeait dans une affaire, il faisait ce qu’il y avait à faire, sans plus, donnait des ordres, s’informait sur les uns et sur les autres, avec l’air de s’intéresser médiocrement à l’enquête et parfois de ne pas s’y intéresser du tout. […] Puis soudain, au moment où on s’y attendait le moins, où on pouvait le croire découragé par la complexité de sa tâche, le déclic se produisait. […] les personnages du drame venaient, pour lui, de cesser d’être des entités, ou des pions, ou des marionnettes, pour devenir des hommes. […] Tel individu, à un moment de sa vie, dans des circonstances déterminées, avait réagi, et il s’agissait, en somme, de faire jaillir du fond de soi-même, à force de se mettre à sa place, des réactions identiques (p. 145-147).

Rien de compliqué : «Il ne fallait pas courir après les vérités qu’on voulait découvrir, mais se laisser imprégner par la vérité pure et simple» (p. 149-150); «Se rendre compte, tout simplement» (p. 151); «Seulement, pour comprendre cette simplicité-là, il fallait aller tout au fond et non se contenter d’explorer la surface» (p. 152).

Ça ne marche pas trop mal.

P.-S.—Pourquoi Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson ? Le roman y a été rédigé.

 

Référence

Simenon, Georges, Maigret à New York, Paris, Presses de la Cité, coll. «Le livre de poche», 14242, 2019, 189 p. Édition originale : 1947.

Lectures de gym : Proust, Balzac, Arcan, Foucault

Anthony Lacroix, Proust au gym, 2024, couverture

«ça fait déjà une semaine que
j’écoute À la recherche du temps perdu au gym
ça se passe mieux que je pensais
je suis dans les temps
mais je n’ai pas d’amis avec qui partager l’expérience

je ne suis pas le seul qui s’entraîne avec des écouteurs
mais je ne connais personne

j’imagine qu’ils écoutent tous un livre audio
particulièrement difficile

le gars avec les bras plus gros que ma tête
doit écouter Le père Goriot

la fille en lycra noir doit écouter À ciel ouvert
pour la deuxième fois

l’autre fille qui fait des squats
c’est Les mots et les choses qu’elle écoute»

Anthony Lacroix, Proust au gym, Montréal, Éditions de Ta Mère, 2024, 105 p., p. 16.

Accouplements 240

Moulinette à légumes, 2008

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

McKenna, Alain, «L’IA, la génération Z et la fin de la radio», le Devoir, le D magazine, 27-28 avril 2024, p. 22.

«Les mélomanes en manque de nouveautés n’auront bientôt plus à se casser la tête. L’intelligence artificielle pourrait s’occuper de créer pour eux des chansons sur mesure, une après l’autre, à partir d’une simple demande : par exemple, “crée une chanson country à propos de la vie à la ferme”.»

Morin, Rose-Aimée Automne T., «La porno de l’avenir (et ses dilemmes éthiques)», la Presse+, 28 avril 2024.

«On fait une requête. C’est-à-dire qu’on décrit précisément ce qu’on souhaite voir. (Je pourrais par exemple écrire : “Du consentement éclairé entre trois personnes émotionnellement matures qui cherchent à se donner du plaisir dans le décor du téléroman La petite vie.” Notons que je ne l’ai pas testé pour des raisons éthiques, peut-être que les algorithmes ne sont pas rendus là…)

Vous connaissez la position de l’Oreille tendue sur ces questions : tous les dégoûts sont dans la nature.

Illustration : «Moulinette Moulin Légume», 2008, photo déposée sur Wikimedia Commons

Autopromotion 759

«Anatomie», deuxième volume des planches de l’Encyclopédie, Paris, 1762, planche XVII

La 606e livraison de XVIIIe siècle, la bibliographie de l’Oreille tendue, est servie.

La bibliographie existe depuis le 16 mai 1992. Elle compte 71 460 titres.

À partir de cette page, on peut interroger l’ensemble des livraisons grâce à un rudimentaire moteur de recherche et soumettre soi-même des titres pour qu’ils soient inclus dans la bibliographie.

Illustration : «Anatomie», deuxième volume des planches de l’Encyclopédie, Paris, 1762, planche XVII